L’oracle du prophète Isaïe retentit à nos oreilles avec une force nouvelle en ces temps obscurs pour le monde et pour l’Église. Les ténèbres paraissent ne pas cesser de s’épaissir, comme de redoutables nuées d’orage qui voilent toute lumière et annoncent la grande tempête. « Oh, Seigneur, Ton peuple marche dans les ténèbres, vient faire resplendir sur lui Ta lumière ! »Mais attention, chers frères et soeurs, car il se pourrait bien que le Seigneur exauce notre demande. L’oracle d’Isaïe est une parole redoutable. Nous demandons la lumière, elle pourrait nous avoir déjà été accordée mais que nous lui préférions les ténèbres… Si vraiment nous demandons la lumière, entendons l’apôtre : « La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. Rejetons les activités des ténèbres, revêtons-nous pour le combat de la lumière. Conduisons-nous honnêtement, comme on le fait en plein jour. » (Rm 13, 12-13a)La guerre en Ukraine fait des centaines de milliers de victimes et la paix parait encore hors de portée. Pour conjurer la guerre, il faudrait que l’agresseur change profondément. Et il ne le veut pas. Il est ancré dans son récit d’Empire perdu. Veut-il la lumière ou préfère-t-il le brouillard de guerre ? « Oh, Seigneur sur les Peuples d’Ukraine et de Russie ensevelis dans les noirceurs de la guerre, fait resplendir ta lumière ! »La crise climatique est désormais une réalité, mais nos sociétés semblent impuissantes à la conjurer, car pour cela, elles devraient changer profondément. Elles voient clairement ce qu’il faudrait faire, mais elles ne le désirent pas assez pour renoncer à un mode de vie dans lequel elles sont profondément ancrées. « Oh Seigneur, sur nos sociétés et nous-mêmes, tu fais briller sur nous ta lumière : tu nous donne la claire vision de ce qu’il faudrait faire, donne-nous aussi la force de l’accomplir ! »Guerre en Ukraine, crise climatique : les ténèbres du monde ne cessent de s’épaissir, mais que dire alors quand Ton Église elle-même, Seigneur, marche dans la nuit ? L’Église, « lumière du monde », devrait être sur le lampadaire, elle est enfouie sous le boisseau (Mt 5, 14). Les révélations désolantes se succèdent. Des pasteurs ont failli. Des pères ont trahi. Ils avaient charge d’âme et, vaincus par leurs passions, ils ont désolé des âmes et profané des corps – tant l’un ne va pas sans l’autre. Nous sommes alors au coeur de la misère humaine aliénée par le mystère du Mal qui vient spécialement tenter ceux qui ont charge des biens du Ciel, et parmi eux, bien souvent ceux dont les dons sont les plus éclatants. Comme un supplice interminable, une révélation chasse l’autre. Le peuple chrétien bouleversé exprime sa colère, sa désolation, sa confusion.Attention de ne pas nous y tromper. Au bout du compte, de quoi se désoler ? Des ténèbres ou de ce que la lumière révèle ? Comme Église, comme institution, comme évêque et pasteur, est-ce bien les ténèbres que nous craignons, ou la lumière qui nous met à nu ? Il s’accomplit ce qu’il est écrit : « rien n’est caché qui ne doive paraître au grand jour. » (Lc 8, 17). Nous sommes témoins d’un grand progrès moral. Les abus de pouvoir, les abus spirituels et les abus sexuels, notre temps ne les a pas inventés. Ce système démoniaque ne vient pas de la mentalité de l’époque. Je crois plutôt que, spécialement par la médiation de victimes courageuses et par l’évolution heureuse de la sensibilité du temps, le Seigneur nous fait la grande grâce de sa Lumière. Le plus grand scandale n’a-t-il pas été, plus encore que les abus eux-mêmes, de craindre la lumière sur ceux-ci ? « Oh, Seigneur, nous te rendons grâce pour Ta lumière qui dévoile les obscures menées du Mauvais dans ton Église. Permet que nous n’ayons pas peur de Ta clarté. »« Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre une lumière a resplendi. » Que cette Lumière du Christ, que nous devons apprendre à sans cesse davantage désirer, nous remplisse de joie et de confiance, qu’elle fasse reculer les ténèbres du monde et de l’Eglise et qu’elle soit accordée chaque jour aux évêques et aux prêtres, aux diacres et aux hommes et femmes consacrés, à vous tous, fidèles du Christ, bien-aimés du Seigneur. Je vous invite à méditer ce verset d’Isaïe durant tout le temps de l’Avent, à le porter dans votre prière personnelle et communautaire, que nous puissions le proclamer dans la joie lors de la célébration nocturne de la Nativité, tous à genoux devant l’enfant lumière. Oui, supplions le Seigneur de renouveler pour nous le don de Sa lumière, de répandre sur nos personnes, sur le monde et sur l’Eglise, la clarté de sa splendeur.À Aix, en la fête du Christ-Roi de l’UniversLe dimanche 20 novembre 2022Mgr Christian DelarbreArchevêque d’Aix et Arles