Vous connaissez probablement ce poème distribué souvent par les pompes funèbres, poème lu tout aussi souvent lors des célébrations de funérailles à l’église, poème que l’on attribue à saint Augustin ou à Charles Péguy, ce qu’il n’est pas, poème qui commence par ces mots : « La mort n’est rien, je suis seulement passé dans la pièce à côté ».

La mort n’est rien !

Et je me suis dit finalement, en relisant ce texte parmi d’autres pour préparer la célébration d’aujourd’hui, que cette phrase était choquante : « La mort n’est rien ». En fait, la mort est vraiment quelque chose. En ayant dans notre cœur le visage de nos défunts, en faisant mémoire de l’expérience de chacun face à cette mort qui nous a tous touchés un jour, en ressentant encore la blessure de la séparation, de cette violence -car la mort est violence – je ne peux pas dire aujourd’hui, tout simplement parce que j’ai la foi, que la mort n’est rien !

Non, la mort n’est pas rien, quand elle nous arrache celui que l’on aime car la mort casse les liens.

Non, la mort n’est pas rien quand elle nous surprend alors que tout est encore promesse, avenir, perspectives et qu’elle sape la vie qui ne veut que surgir car la mort est brisure.

Non, la mort n’est pas rien, quand elle n’est que trop prévisible et qu’elle ne peut être que l’unique fin de toute histoire car la mort est ultime.

Non, la mort n’est pas rien quand elle a fermé les yeux, quand tous sont plongés dans la nuit de la séparation, car la mort est ténèbres.

Un chrétien ne peut pas dire que la mort n’est rien déjà au niveau de son expérience, mais aussi au niveau de sa foi. Car il sait, le croyant, que s’il y a eu Noël, que si Dieu est intervenu lui-même, par son Fils, c’est que la mort était bel et bien quelque chose à combattre, à détruire, à anéantir.

« Et le verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » pour venir nous délivrer du péché et de la mort en passant lui-même par cette mort. « Je suis venu pour cette heure-là » dira-t-il, à quelques heures de son arrestation.

Non, la mort n’est pas rien, quand à Gethsémani le Christ en agonie demande à son Père que ce calice s’éloigne de lui.

Non, la mort n’est pas rien quand il la porte sur ses épaules, une mort en forme de croix, ignominieuse et dégradante.

Non, la mort n’est pas rien au Golgotha, quand les ténèbres envahissent toute la terre, et que le Christ crie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ».

La mort n’est pas rien pour Marie là au pied de la croix.

Fallait-il que le Christ l’affronte de cette manière-là ? Qu’il l’expérimente et la vive comme nous ? Mystère de l’amour de Dieu, mais il l’a fait parce que la mort n’aurait pas dû exister, qu’elle n’était pas dans le plan de Dieu, qu’elle ne vient pas de Dieu.

« La mort n’est rien, je ne suis seulement passé dans la pièce à côté » : non, pour Dieu aussi, ce n’est pas vrai !

Par contre, depuis la résurrection, la mort n’est pas tout.

Ce dimanche matin de Pâques a tout changé. La mort n’est pas supprimée, mais elle devient un passage où chaque défunt se glisse par la fracture qu’a faite croix, car la mort a été foudroyée par la vie. Désormais, le Christ, comme un nouveau Moïse, a guidé son peuple et, face à la mort comme une mer infranchissable, a ouvert le chemin à pied sec sous les pas de sa résurrection, ce chemin que chacun emprunte désormais par la foi, chemin que Dieu a tracé pour nous guider vers lui ; et la mort, médusée, a perdu son essence même « Oh mort où est ta victoire, oh mort où est ton aiguillon ? » dira Saint-Paul.

Si la mort n’est pas rien, désormais elle n’est pas tout : c’est ce qu’a exprimé Paul dans la première lecture : « Frères, nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ; il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres, qui n’ont pas d’espérance. Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ; de même, nous le croyons, ceux qui se sont endormis, Dieu, à cause de Jésus, les amènera avec son Fils. Ainsi nous serons pour toujours avec le Seigneur. »

« Ne soyez pas surpris ; l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux vont entendre sa voix, et ils sortiront. » a dit le Christ dans l’Évangile.

Tout ce que je viens de dire, c’est finalement ce que nous sommes venus vivre aujourd’hui dans cette église. C’est certainement regarder la mort en face, faire mémoire de tous ceux qui nous ont quittés, précédés, avec pour beaucoup une blessure, mais aussi accueillir, partager, saisir, découvrir que cette mort n’est pas le fin mot de toute histoire : s’il n’a pas voulu la mort, Dieu y a, par son Fils, semé la vie !

Plus rien, par la résurrection du Christ, ne sera comme avant : « J’en ai la certitude, ni la mort, ni les puissances… Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu » dit encore St Paul. Alors, au lieu de dire, la mort n’est rien, je suis seulement passé dans la pièce à côté, disons aujourd’hui, en ce jour de commémoration de tous nos défunts, la mort pour eux ne fut pas tout, Dieu les a ressuscités pour l’éternité.